Script du témoignage de Gilles et Francis
Extrait du film"Infection à VIH : Témoignages sur les trithérapies "
Auteur : Catherine Tourette-Turgis, Réalisateur : Pierre Attia,
Producteur
: COMMENT DIRE (VHS 52 min.)
© 1998, Comment Dire

 

Gilles : J'ai 44 ans, je sais que je suis séropositif depuis septembre 85. J'ai déclenché un SIDA en mai 95. En avril 96, j'avais fait coup sur coup une pneumocystose et une antéropathie exudative, deux septicémies. Et j'ai commencé, il était temps, une trithérapie en mars qui m'a permis de me rétablir et de récupérer des forces, de l'énergie et une certaine santé, j'étais passé de 70 kilos à 45, et je suis aujourd'hui à pratiquement 70 kilos.
Ce qu'il faut dire c'est que pour moi cette trithérapie était un miracle, parce que j'étais vraiment donné presque pour mort en avril et le médecin avait même demandé… On a anticipé cette trithérapie de 2 mois puisque tu l'avais commandé...

Francis : C'était pas disponible en France puisque c'était 2 mois avant la distribution en France des trithérapies et donc on est passé par une pharmacie aux Etats-Unis, on a fait la commande par carte bleue bien que ça représente un certain danger puisque on était, on nous a dit que c'était illégal mais bon, heureusement qu'on l'a fait parce que peut-être on serait pas, il serait peut-être pas là pour faire, pour parler aujourd'hui.
On peut dire quand même que l'on rentre de la guerre et c'est vrai que beaucoup sont morts à la guerre et ceux qui reviennent de la guerre sont à la fois heureux, c'est sûr, mais aussi se demandent pourquoi eux, pourquoi certains sont morts, peut-être certains à quelques mois, s'ils avaient bénéficié des trithérapies peut-être peu de temps avant, eh bien, eux aussi auraient pu s'en sortir.

Gilles : J'ai une très bonne observance, je crois qu'on dit cela, de cette trithérapie, et c'est pas tout à fait le cas de Francis.
Aujourd'hui, l'efficacité est prouvée.

Francis : Oui, mais ça, c'est comme les préservatifs, entre savoir quelque chose et pouvoir le vivre, bien il y a des moments où on ne peut pas le vivre. Et donc c'est difficile de le vivre bien sûr je sais maintenant, je sais, je suis convaincu.

Gilles : Oui, par exemple, tu sais, t'es convaincu, mais tu ne prends pas tes médicaments tout le temps aux bonnes prises.
Il a 3 prises à prendre par jour, un le matin, un à midi, enfin en début d'après-midi et le soir. L'après-midi, en général la prise elle n'est pas faite, donc ce que je fais maintenant, c'est que je l'appelle à son travail à 2 heures ou 3 heures de l'après-midi pour lui dire " Francis, est-ce que tu as pris tes médicaments, je reste en ligne jusqu'à ce que tu les aies pris". Reconnais que c'est vrai.

Francis : Oui, mais ce qu'il y a, pourquoi, parce que les médicaments, c'est pas la vie, je suis dans la vie, je travaille, j'agis et je fais ce que j'ai à faire et les médicaments ne font pas partie de ma vie. Je suis resté asymptomatique tout le temps, je n'ai jamais rien eu, j'ai eu cette chance, c'est à dire de, j'ai mes défenses immunitaires qui ont baissé, bien sûr, mais je n'ai jamais eu aucune, aucune maladie opportuniste.
Chacun ses médicaments, chacun sa gestion, les miens, moi je les mets dans un endroit par où je passe tout le temps pour ne pas les oublier, donc ils sont là dans la cuisine.

Gilles : Moi, je les mets dans la chambre dans une mallette faite exprès, enfin un attaché-case dans lequel il n'y a que les médicaments, que je prends d'ailleurs quand je voyage tel quel.
Finalement, on est assez complémentaire, parce qu'il m'amène souvent une énergie dans un tas de domaines que je n'ai pas, et moi je lui amène une rigueur dans le suivi du traitement qu'il n'a pas, donc …
Les antiprothéases m'ont tiré d'affaire, au moins momentanément, mais j'ai eu aussi une autre antiprothéase qui s'appelle Francis et je crois que sans Francis, sans toute l'affection, tout ce qu'il m'a donné, toute sa présence, tous ses, toute la cuisine qu'il m'a faite, toute l'attention, tous les soins qu'il m'a prodigués, je crois que je ne serai pas là pour le dire.
Cette nouvelle vie que la trithérapie, que les médicaments nous ont permis d'avoir, elle ne peut plus quand même tout à fait se dérouler comme avant. Il y a quand même un changement même si on est repris par les projets qu'on a, dans l'élan de la vie quoi.

Francis : Bon, il dit qu'il a de la chance d'être avec moi, mais je peux dire la même chose, je crois que c'est l'équilibre du couple et l'équilibre aussi dans la société qui permet d'être un facteur très favorisant pour combattre la maladie.

Gilles : Egalement au niveau de l'image qu'on a de soi-même, de l'image qu'on offre à son partenaire, au niveau de la sexualité, d'un narcissisme qui s'effondre, d'une volonté de plaire qui ne peut plus exister quand on pèse 45 kilos, qu'on est plus qu'un squelette. Bon tout ça c'est dur, et alors quand le corps se reconstruit, je dirais que, [se tournant vers Francis] enfin je ne sais pas ce que tu en penses, il faut aussi reconstruire le désir, il faut aussi reconstruire l'envie de séduire l'autre, et ça c'est pas évident, et ça c'est pas non plus les antiprothéases qui le permettent.

Francis : C'est vrai que j'ai pris conscience certainement du rôle de chacun pour se responsabiliser et pour faire évoluer les choses dans la société, c'est vrai que c'est un aspect qui est apparu en relation avec le SIDA.

Gilles : Pour moi le, la vie c'est maintenant, c'est le projet de vacances qu'on aura dans 3 mois, c'est l'envie d'inviter des amis dans 10 jours, c'est lire, enfin c'est vraiment la vie de tous les jours et vraiment la vie de maintenant quoi. Et bon, je ne me projette pas dans les dix années à venir.