Script du témoignage de Lionel
Extrait du film"Infection à VIH : Témoignages sur les trithérapies "
Auteur : Catherine Tourette-Turgis, Réalisateur : Pierre Attia,
Producteur
: COMMENT DIRE (VHS 52 min.)
© 1998, Comment Dire

 

La trithérapie est arrivée après un moment assez crucial de mon existence puisqu'elle est arrivée quelques mois après le décès de mon compagnon avec qui j'avais partagé 15 ans. Donc s'est posé en fait le problème, de façon très aigu, de ma, de ma possible survie à mon ami, ce qui n'était pas dans, ce qui n'était pas prévu par le schéma, c'est à dire que le schéma que j'avais dans ma tête, c'est que j'allais le suivre.

Et puis l'arrivée des trithérapies à poser très précisément comme question est-ce que je voulais vivre ou pas. C'est un peu comme si lui me disait, me donnait l'ordre de vivre, quoi.
Alors dire, dire pour moi l'arrivée des trithérapies, c'est un peu comme une seconde naissance.

A quoi ça peut servir le fait que je suis encore là, c'est ça qui est important. C'est vraiment ça, bon je dirai, la question la plus brûlante, c'est vraiment, c'est un problème philosophique, ce n'est pas un problème médical, c'est un problème philosophique.

Il faut voir ça comme une étape. Il faut le voir comme un moyen et puis il faut parler de vie, il faut arrêter de parler de médicaments. Il faut parler de vie, parler des personnes qui vivent en prenant des médicaments mais qui vivent, c'est ça le plus important, c'est que quand ils ne prennent pas leurs médicaments, ils font autre chose.

Je voudrais retravailler mais ayant été plongé dans la mort, ayant vécu des choses extrêmement profondes, je pense qu'essentiellement ce que j'apprendrai aux élèves, ce serait apprendre à penser, apprendre à être bien avec soi-même et avec les autres. Voilà, c'est tout, je sais que je serai en gros conflit avec les parents, avec l'administration, certainement.

Quand je chante un lead de Schubert, je m'occupe de ma santé. Quand je mange des spaghettis à la bolognaise, je m'occupe de ma santé. Quand je vais au cinéma, je m'occupe de ma santé. Quand je manifeste, je m'occupe de ma santé. Quand je lis des publications, quand je cherche sur Internet des renseignements sur un traitement, je m'occupe de ma santé. Et puis, quand je m'occupe, quand je fais des dossiers Cotorep pour des malades, je m'occupe aussi de ma santé d'une certaine manière puisque je trouve un sens à ma vie.

Le VIH, c'est quelque chose avec lequel je vis 24 heures sur 23, que je vivrai toute ma vie. Même si le virus était éradiqué. C'est quelque chose qui est intégré, qui fait partie de moi, comme la couleur de mes yeux, comme ma taille, comme… Donc je ne dis pas que je m'en suis fait un ami, c'est sans doute mon seul ennemi, ce virus, mais il fait quand même parti de moi. Alors c'est peut-être pour ça que je suis observant, parce que même dans les moments de joie intense, dans les moments de bonheur, je sais qu'il est toujours là.

Que le SIDA soit ou non une maladie chronique, il est certain qu'il a, il a, il a posé de telles questions et en de tels termes que je ne pense pas qu'il soit possible pour une personne, même si elle n'est pas séropositive, de penser de la même manière qu'avant.

Je pense que pour ma part le SIDA a presque, a pour toujours, c'est-à-dire jusqu'à la fin de mes jours, modifié jusqu'à la couleur des arbres. Il a tout modifié, c'est-à-dire on ne pourra pas dire, même si un jour on est capable d'éradiquer ce virus de mon corps, je serai séropositif jusqu'à ma mort. Un petit peu comme les gens qui sortaient des camps avaient leur tatouage et conservaient leur tatouage, ils étaient toujours déportés.

Ce qui reste à faire, c'est faire en sorte que les trithérapies soient accessibles au plus grand nombre. C'est qu'on ne considère pas à priori que,… parce qu'une personne ne sera pas compliante, parce qu'elle a des problèmes sociaux, qu'on ne la retrouve pas d'un seul coup exclue [des trithérapies], donc de faire en sorte de mettre les moyens maximums et puis aussi surtout enfin de… d'inventer la vie qui va avec.

Je crois que ce n'est pas une petite chose de dire aux gens " Vivez, vivez ! Faites des choses, prenez votre pied ", je sais pas, " vivez ce que vous avez envie ", et voilà, pas se contenter de dire " Ouvrez la bouche, gobez vos médicaments et bouclez-là ".