Script du témoignage de Pascale et de sa fille Eva
Extrait du film"Infection à VIH : Témoignages sur les trithérapies "
Auteur : Catherine Tourette-Turgis, Réalisateur : Pierre Attia,
Producteur
: COMMENT DIRE (VHS 52 min.)
© 1998, Comment Dire

 

Pascale :
J'ai 38 ans, je suis sous méthadone depuis environ 4 ans, 4 ans et demi, je suis sous bithérapie depuis 6 mois simplement, et je suis séropositive depuis, je l'ai su en 83.

Au vu de mes résultats, on a, un médecin a décidé de me mettre à la bithérapie et j'ai préféré que ce soit la bithérapie au départ, parce que la trithérapie je trouvais que c'était beaucoup plus difficile, comment dire?, à gérer.
Avant je pense que si je refusais tous les traitements, c'est parce que je voyais de mes yeux ce qui se passait aussi, les gens qui mourraient, qui souffraient, qui, qui, malheureusement, oui, enfin mourraient de toxoplasmose, d'encéphalite, paralysés, aveugles, enfin bon, c'est dur. Donc j'avais pas envie de, de partager en plus le médical.
Ça me semblait [la trithérapie] un petit peu lourd, autant au niveau des horaires, que des prises. Moi, j'ai du mal à me structurer dans le temps, par rapport à mes prises de médicaments et à les prendre à horaires fixes, à ce moment-là, j'avais besoin de m'habituer psychologiquement.
Quelque part, ça m'a bouleversé, ça m'a bouleversé pour moi, ça m'a bouleversé pour ma fille, ça m'a bouleversé et ça a bouleversé ma vie bien évidemment, mais la méthadone m'a permis de retrouver une qualité de vie. La trithérapie, la bithérapie, moi, on en parle beaucoup depuis un an, un an et demi, je me trompe peut-être, mais il me semble que c'est ça, moi la méthadone ça fait 4 ans que j'en prends et, en 4 ans j'ai pris 10 kilos. J'ai pris le temps de m'occuper de moi et de vivre d'une façon différente en tout cas.

J'ai pu m'en sortir, parce que j'avais quand même une vingtaine d'années de toxicomanie derrière, ce qui est lourd, donc je prends de la méthadone encore maintenant, je baisse à mon rythme, quand j'en ai envie, ça ne me dérange pas de prendre de la méthadone, personnellement j'estime que ce n'est pas grave, par rapport à ce qu'était l'héroïne ce n'est pas un problème, ça m'oblige évidemment à aller une fois par semaine quand même dans cette clinique ou bien à aller dans des centres lorsque je pars en vacances.
J'ai donc une prise vers minuit, 3 comprimés, plus une prise le matin, 2-3 heures après m'être levée, de 2 comprimés. Il m'arrive d'en sauter, ça m'est arrivé une dizaine de fois et bien tant pis, je me dis que ce n'est pas dramatique, par contre pour la trithérapie, j'ai bien compris que c'était un souci quand même plus important, c'est en ce sens-là que j'aimerais attendre, me préparer.

Au niveau professionnel, j'ai pas mal de mal, donc moi j'ai été éditeur pendant 8 ans, à un moment donné où l'édition marchait très vite, très bien sans qu'on est beaucoup à s'en occuper. Je travaille peu parce que j'ai du mal, parce que ça me…, j'aime pourtant, mais je ne suis pas un moteur et je travaille seule… donc j'aime lire, je préfère lire, je préfère aller me promener, je préfère aller boire un coup, je préfère aller voir des amis que travailler, c'est un problème.

Eva :
Je vais avoir 17 ans. Quand ma mère m'a dit qu'elle était séropositive, j'étais en vacances, j'étais déjà assez jeune et je ne me suis jamais, je ne me pose jamais la question, je n'y pense jamais déjà.
Quand je l'ai appris, je ne sais pas, ce n'est pas une grande différence, à part que ma mère était malade. Une grande différence au niveau de mon père, il n'y en a pas eu, parce que, qu'il soit mort du SIDA ou du cancer ou de je ne sais quoi, ça n'a pas beaucoup d'importance et au niveau de ma mère, pour un enfant, je pense qu'une mère ça ne peut pas mourir déjà dans sa tête, dans son cœur.

Moi, je suis très fière de ma mère et c'est quelqu'un de merveilleux et voilà quoi. Chacun ses défauts, chacun ses qualités. Il y a des gens qui boivent, il y a des gens qui fument, il y a des gens, il y a des gens qui vont voir ailleurs, il y a des parents qui se divorcent, il y a des parents qui, bon, la mienne était toxicomane, mais ce n'est pas pour ça que je ne l'aime pas, elle est, je ne sais pas, elle a réussi à arrêter et c'est ce qui compte quoi.
De toute façon, on finit toujours par comprendre ce qui se passe, n'importe quel âge qu'on peut avoir, sans pouvoir poser de questions parce qu'on est quand même des petits enfants à ce moment-là, mais on comprend toujours ce qui se passe, donc on est toujours content quand ça s'arrête, je pense.
C'est la première question, on m'a toujours demandé si j'étais séropositive, c'est "Tes parents sont séropositifs ?" - "Oui" - "Et toi ?" - "Non" - "Ah bon ! Comment ça se fait ?" - "Ben, je sais pas, c'est comme ça", et "Est-ce que ça peut se déclarer ? Est-ce que, est-ce que… ?". Même après, j'ai eu des gens qui, des amis à qui je pensais pouvoir le dire, qui revenaient me voir et qui me disaient "Mais t'es sûre que ça ne peut pas se déclarer au bout de 10 ans et qu'en fait, que tu l'as et que tu ne le sais pas", enfin bon, et "Tu peux l'attraper avec ta mère", et c'est carrément des choses auxquelles je ne pense jamais, mais bon les gens à l'extérieur, oui, ils y pensent plus que moi, je pense. Les jeunes autour de moi n'ont pas, ne savent pas spécialement la différence entre séropositivité et SIDA, déjà. Je trouve ça un peu dommage, mais des gens de mon âge de 17, 19, 20 ans.

Même au collège, même dans les lycées, même en primaire, personne n'a expliqué à personne, c'est toujours caché quand même. Il y a quelque chose qui est super quand quelqu'un est malade ou même quand quelqu'un est séro [séropositif], c'est qu'il faut qu'il soit heureux, sinon c'est sûr qu'il va tomber malade ou il peut mourir, mais s'il arrive à se trouver une ambiance ou un truc autour de lui qui peut lui faire monter une envie de rester en vie, une envie d'aller tous les jours à son taff [travail] et se faire regarder comme s'il était de la merde parce qu'il est séro, une envie de dire aux gens "mais de toute façon moi je m'en fous, regardez-moi comme vous voulez, ça ne me regarde pas, j'ai ma vie", et bien là il aura envie de ne pas tomber malade et de rester accroché à sa petite vie à lui, et pas faire attention aux autres, je pense.
Parce que c'est ça le plus dur, c'est pas faire attention aux autres, au regard des autres, parce que bon, on a beau dire, le regard des autres c'est bien beau, mais on en a besoin pour vivre quoi. C'est quand même vachement important, c'est les gens qui nous entourent, c'est les gens qui nous regardent, et s'ils nous regardent en disant "mais attend, lui, il traîne la mort ", à la fin même dans ta tête tu te dis "il vaut mieux que je reste enfermé chez moi et que je l'attende", et là, c'est négatif et si c'est négatif et bien forcément c'est pas bon.