Script
du témoignage de Sarah et de sa fille Alice
Extrait
du film"Infection
à VIH : Témoignages sur les trithérapies "
Auteur : Catherine Tourette-Turgis, Réalisateur : Pierre Attia,
Producteur : COMMENT DIRE (VHS 52 min.)
© 1998, Comment Dire
Sarah :
Je suis séropositive depuis 14 ans, j'ai 49 ans et demi et je ne
prends des traitements que depuis le mois de janvier [1998], depuis 10
mois et c'était, en fait la trithérapie, c'est mon premier
traitement parce que jusque là j'avais refusé tous les protocoles,
ne me sentant pas du tout sûre des médicaments, je n'avais
pas confiance et c'était après de longues discussion avec
le médecin que j'ai eu, qui est un médecin, un professeur
très intelligent, qui a accepté ce risque quoi. Bien sûr,
mes T4 baissaient un petit peu mais j'étais très résistante
et du coup la trithérapie, c'est plutôt une bonne histoire
pour moi, parce que je n'ai rien pris avant, donc elle est efficace.
Alice : Obligatoirement, je peux me souvenir du moment où
on l'a appris. C'était chez mon père, en plus, donc c'était
vraiment un milieu familial, avec mon père, ma belle-mère
[la femme de son père], ma mère et moi. Et le médecin
est arrivé et il n'a pas fait attention, il n'a pas posé
de questions, savoir s'il fallait me le dire ou pas, et il l'a annoncé
devant tout le monde, devant toute la famille, " voilà, vous
êtes séropositive ", et je me souviens du hurlement
de ma mère, " Non, pas moi ", oui.
Sarah : Je me suis laissée allée un soir, quoi, mais
après ça c'était fini, c'était fini. C'était
fini et c'était en plus, bon il faut peut-être quand même
le dire, je l'ai appris en même temps que j'ai arrêté
d'être héroïnomane. J'ai été une grande
héroïnomane et en fait, j'ai fait mon test à la fin,
et Alice aussi ce qu'elle a vécu, elle vivait le fait que je n'étais
plus héroïnomane, donc la vie était plus gaie aussi
à ce moment-là.
Alice : On
en parlait peu à l'école, on n'en parlait nulle part même,
donc je me suis pas trop rendue compte au début, c'est, c'est certainement
au moment où Poussine est morte, donc, Poussine étant quand
même ta meilleure amie et la personne qui m'a plus ou moins élevée
aussi. A partir du moment où elle est morte de la même maladie,
du SIDA, j'ai compris que oui, il y avait quelque chose au bout de cette
maladie, donc la mort.
Quoique j'ai toujours pensé que tu étais indestructible,
que tu n'allais jamais être malade comme les autres, mais oui tu
as été malade, c'est sûr, et bon, j'ai angoissé,
je me suis angoissée, vraiment. Et puis voilà, bien, depuis
la trithérapie il y a quand même des signes, des signes de
renouveau. Tu as meilleure
Sarah : J'ai
meilleure mine !
Alice : Oui,
tu as meilleure mine, c'est sûr par rapport aux tuyaux [perfusions].
Sarah : Mais
j'ai meilleure mine parce que j'ai arrêté de travailler six
mois, c'est tout ! On avait décidé que je commencerai la
trithérapie début janvier parce que je partais à
la campagne et que j'arrêtais de travailler un petit peu. Mon médecin
a, on était d'accord quoi, on pensait que ce n'était pas
bien avec le travail que j'ai, de la commencer n'importe quand, et j'ai
accepté. J'ai accepté parce que probablement, parce que
j'ai cette forte envie de vivre quoi, en me disant que je l'arrêterai
si ça allait trop mal.
Les premiers signes, quoi, qui sont les signes classiques de la trithérapie,
diarrhées et boutons. Je n'avais plus rien au bout d'une semaine
et je pense aussi que c'est grâce à la campagne et grâce
à une, je crois, une profonde hygiène de vie, mais qui existait
dans ma vie avant, une manière de se nourrir, une manière
de respirer, une manière de regarder la vie qui existait avant,
avant que je sois séropositive, donc qui a toujours existé
dans ma vie.
[Sarah et Alice sont
à table]
Alice : Eh
! Tes médicaments. Non, tu n'as pas oublié.
Sarah : Oh
! là, là.
Alice : Mais
il est un peu tard là ? T'aurais dû les prendre, non ?
Sarah : Non,
ça va. Le cinéma m'a rendu rendu extrêmement disciplinée,
je crois, donc à partir du moment où j'ai accepté,
autant j'avais refusé tous les médicaments, autant à
partir du moment où je les ai acceptés, je les ai pris.
[prenant une petite boîte]. Un petit peu de vitamines !
Il m'arrive d'oublier effectivement à un repas, mais je m'en souviens
dans l'heure après ou dans les deux heures d'après et je
rattrape quoi, je prends mes médicaments. [montrant les vitamines
qu'elle prend ]. C'est les B1, B6, B12, c'est pour la polynévrite,
ce n'est pas pour
Alice : La
prise des médicaments se fait vraiment avec les heures de repas,
mais celui de 4 heures est mal placé parce qu'il n'est pas dans
une heure de repas. A 4 heures, en général, j'essaye de
lui rappeler, oui si je suis là, ou régulièrement
on se télephone quand je suis au travail donc je peux lui dire
" Tiens, au fait, 4 heures, t'as pas oublié ? ", si c'est
l'heure de 4 heures !
Sarah : C'est
vraiment très agréable de, qu'il y ait des gens qui puissent
y penser à ma place, s'en préoccuper, me dire " Sarah,
est-ce que tu as pris tes médicaments ? ", bien sûr,
c'est agréable, c'est une chaleur, oui, c'est une vraie chaleur,
c'est une preuve immédiate qu'ils ont envie que je vive quoi, c'est
une preuve d'amour.
Quand on sait qu'on est séropositive, ça se résume
dans la phrase que j'ai criée quand on me l'a appris, " Je
n'aurai plus d'enfant ". Moi, quand ça m'est arrivé,
j'étais en âge encore d'avoir des enfants et je venais de
rencontrer l'homme de ma vie. Et bien, je pleure, ça bien sûr,
je pleure l'enfant que je n'ai pas eu avec lui, ça c'est une
ça c'est une souffrance, ça c'est
Alice : Malgré
ma jeunesse, je me suis dit, à des moments, ben ça serait
peut-être bien de faire un enfant parce que là, il reste
peut-être pas beaucoup de temps à vivre à maman, donc
je vais peut-être faire un enfant. Je me suis posé la question,
j'en ai eu envie pour elle, pas pour moi, parce que je me sentais trop
jeune et parce que j'ai, ma carrière m'importe vraiment, donc c'était
vraiment pas le moment.
Mais depuis la trithérapie, déjà je ne suis plus
avec mon petit ami, donc j'aurais fait un enfant et qui n'aurait peut-être
pas de père maintenant, donc ça aurait été
une erreur et effectivement, je me dis que je peux prendre le temps et
faire un enfant au moment où ce sera le moment de faire un enfant.
Ça, ça a changé ma vie, oui, aussi.
Sarah : C'est
vrai que j'ai toujours dit, de toute façon, je ne partirai jamais
avant d'avoir tenu un de mes petits enfants dans mes bras, donc c'était
comme un challenge, quoi. Et maintenant, je pense que je les tiendrai
dans mes bras et que je les élèverai aussi avec elle, enfin,
je pense que je serai une grand-mère.
Je ne suis pas tellement de nature à penser à la retraite
ou à des choses comme ça, mais soudain j'ai pensé
" Où est-ce que t'aimerais vieillir ? ", j'ai envie de
retourner en Algérie vivre, je ne pouvais pas penser à tout
ça avant. Maintenant j'ai un avenir quoi. Bon, il me semble que
j'ai un avenir normal maintenant, avec cette sagesse d'avoir vécu
avec la mort très très proche, avec, maintenant je vais
vivre.
Cette épidémie, elle n'est pas innocente, et je sais pas,
peut-être c'est ma manière politique d'avoir toujours vu
la vie, j'ai pensé que j'étais au cur du problème
et assez sereine par rapport à ça. Maintenant je vais vivre
avec cette connaissance de la mort.
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